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Isaac Taylor

Démocrite et Protagoras

1820–1830

Marx a été arrêté jeune encore par un accident très fréquent au XIXᵉ siècle ; il s’est pris au sérieux. Il a été saisi d’une sorte d’illusion messianique qui lui a fait croire qu’un rôle décisif lui était réservé pour le salut du genre humain. Dès lors il ne pouvait pas conserver la capacité de penser au sens complet du mot. La philosophie du travail qui germait en lui, il l’a abandonnée, quoiqu’il ait continué, mais de plus en plus rarement avec le temps, à mettre çà et là dans ses écrits des formules qui s’en inspiraient. Étant hors d’état d’élaborer une doctrine, il a pris les deux croyances les plus courantes à son époque, l’une et l’autre pauvres, sommaires, médiocres, et de plus impossibles à penser ensemble. L’une est le scientisme, l’autre le socialisme utopique.

Pour les adopter ensemble, il leur a donné une unité fictive au moyen de formules qui, si on leur demande leur signification, n’en révèlent en fin de compte aucune, sinon un état sentimental. Mais quand un auteur choisit les mots habilement, le lecteur a rarement l’impolitesse de poser une telle question. Moins une formule a de signification, plus épais est le voile qui couvre les contradictions illégitimes d’une pensée.

Démocrite et Protagoras

Collection: Harvard Art Museums/Fogg Museum, Gift of Belinda L. Randall from the collection of John Witt Randall
Texte: Simone Weil, Y a-t-il une doctrine marxiste ?, 1934


Publié: Novembre 2024
Catégorie: Illustration

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