John Martin
Josué arrêtant le soleil
1827
Le rapport au « religieux » et à ses propositions est, me semble-t-il, passé par trois étapes dans l’histoire de nos sociétés : « 1, c’est vrai », « 2, c’est signifiant » et enfin « 3, c’est… intéressant » ! Au départ, on prend l’Écriture au sérieux : « C’est vrai : le soleil s’est arrêté ; c’est vrai : les murailles de Jéricho sont tombées devant Josué ; oui c’est vrai : Jésus est né d’une vierge… » Et à un moment donné, quand l’état des connaissances rend ce type d’assertions difficilement tenable, on dit : « Mais non, tout cela relève de l’ordre du symbolique, du signifiant : il faut étudier les structures mythologiques qui s’expriment à travers ces idées, ces récits. » C’est cette deuxième étape du rapport civilisationnel au « religieux » que je reconnais comme « l’étape du sens ». La troisième étape, c’est la nôtre aujourd’hui : « Le religieux, ah ! oui… c’est intéressant ! Cela relève du folklorique, de l’esthétique, du poétique… » C’est intéressant comme toutes les « productions culturelles », des plus nobles — les « classiques » et « légitimes » — aux plus « triviales », ni les unes ni les autres n’étant finalement prises très au sérieux. Ce que j’ai essayé de faire en défendant l’enseignement du fait religieux à l’école laïque, c’est justement de repasser de l’« intéressant » au « signifiant », en remontant un peu en arrière. Cela implique de rappeler à l’homme actuel, à commencer par les jeunes, que toutes ces données religieuses furent « vraies » à un moment donné pour un certain nombre de consciences humaines. Et que cette vérité s’est inscrite dans l’espace et dans le temps en produisant des structures historiques et culturelles toujours actives, comme des monuments, un calendrier, etc. Dépourvue de fondement astronomique, la semaine est ainsi le seul décompte du temps qui ne doive rien aux cycles de la lune et du soleil ; d’où peut-elle donc venir ? Eh bien d’un texte qui s’appelle la Bible ! Et comment donc comprendre ce qui marque notre vie si on ne le sait pas ? Pour répondre maintenant à votre question, je dirais que le « sens » auquel s’attache l’herméneutique est pour moi la « petite monnaie » d’une vérité perdue. Ce qui ne veut pas dire que ce « sens » n’a pas de sens, mais que de s’y consacrer révèle la position de repli d’une conscience religieuse dans un monde contemporain qui l’ignore et la marginalise.
Collection: The National Gallery of Art (Gaillard F. Ravenel and Frances P. Smyth-Ravenel Fund)
Text: Régis Debray, Avec ou sans Dieu ?, 2006
Publié: Juin 2017
Catégorie: Illustration
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