Abraham Bosse
Léviathan
1651
Avec le Léviathan naît la théorie de l’État totalitaire : la théorie, car son jour n’était pas venu. À l’époque où Hobbes écrivait son livre, c’est en vain que Strafford essayait d’imposer aux Anglais l’administration, le fisc et l’armée. Léviathan était alors mortel, il n’avait qu’une tête qu’il suffit au peuple de trancher.
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L’État, c’est l’armée-police ; le grand Prince, celui qui a son épée bien en main ; le bon État, celui qui connaît bien ses ennemis. Combattre, voilà sa tâche, sur ces champs de bataille où il trouve son origine et sa fin. En termes d’État, la paix n’est qu’un des noms de la guerre : « Si vis bellum para pacem. » Et l’ordre social que César conçoit, uniforme et mécanique, c’est celui de ses légions.
Mais le véritable État ne distingue pas sa paix de sa guerre. S’il combat, c’est pour imposer sa raison, pour détruire ce qui n’est pas son ordre. Ainsi partout où il passe, l’uniforme succède au multiple, l’immobilité au mouvement ; la mort à la vie ; la paix au conflit. Mais comme cette paix n’existe que pour développer sa puissance, alors…
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Le souverain se réserve la contrainte des armes, mais il serait mauvais pour lui de brandir tout le temps l’épée. Le véritable Prince la dissimule, c’est ainsi qu’il la rend plus terrible. Car s’il est mauvais de l’employer ouvertement, il est bon de la sous-entendre : le glaive c’est l’ultima ratio. Derrière l’ordre majestueux des lois, nous ne devons pas oublier qu’il est présent. Il est inutile pour l’individu de dialoguer avec César, parce que César n’a rien de l’homme. Et parce que le dialogue est impossible avec celui qui a cette raison de trop.
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Le progrès de l’État est celui de la guerre ; et le progrès de la guerre est celui de l’État.

Collection: Zentralbibliothek Zürich
Texte: Bernard Charbonneau, L’État, 1949
Publié: Juin 2025
Catégorie: Illustration