Joseph de Maistre
Considérations sur la France
1796
La constitution de 1793, tout comme ses ainées, est faite pour l’homme. Or, il n’y a point d’hommes dans le monde. J’ai vu, dans ma vie, des François, des Italiens, des Russes, etc. ; je sais même, grâce à Montesquieu, qu’on peut être Persan : mais quant à l’homme, je déclare ne l’avoir rencontré de ma vie ; s’il existe, c’est bien à mon insu. Y a-t-il une seule contrée de l’univers où l’on ne puisse trouver un Conseil des Cinq-Cents, un Conseil des Anciens et cinq Directeurs ? Cette constitution peut être présentée à toutes les associations humaines, depuis la Chine jusqu’à Genève. Mais une constitution qui est faite pour toutes les nations, n’est faite pour aucune : c’est une pure abstraction, une œuvre scolastique faite pour exercer l’esprit d’après une hypothèse idéale, et qu’il faut adresser à l’homme, dans les espaces imaginaires où il habite.