Raymond Aron
Dimensions de la conscience historique
1961
Le premier élément est ce que les philosophes appellent volontiers historicité de l’homme. Il est proche de ce que d’autres ont appelé le caractère prométhéen de la réalité historique. Les hommes ne se soumettent pas passivement au destin, ils ne se contentent pas de recevoir les traditions que l’éducation a déposées en eux, ils sont capables de les comprendre, donc de les accepter ou de les rejeter. Cette compréhension ne se confond pas avec la connaissance historique à prétention scientifique, elle ne l’implique même pas logiquement. Le révolutionnaire qui veut se libérer d’un héritage n’a que faire d’en reconstruire le sens originel ou la formation progressive. Mais l’homme qui, par l’action, se veut libre dans l’histoire, se veut aussi libre par le savoir. Connaître le passé est une manière de s’en libérer puisque seule la vérité permet de donner assentiment ou refus en toute lucidité. Cette double libération, par l’action et par le savoir, signifie d’autant plus pour l’homme que la substance historique est elle-même plus significative. L’homme veut il se libérer vers les valeurs éternelles ou vers un avenir conforme à une vocation représentée comme universelle ?