Littérature

Eugène Viollet-le-Duc

Entretiens sur l’architecture (II)

1863

Faire de l’architecture un art d’initiés, un art se renfermant dans certaines méthodes de convention que les profanes ne peuvent ni connaître ni comprendre, c’est, il est vrai, un moyen de conserver une sorte de monopole qui peut avoir ses avantages pour ceux qui en sont les possesseurs ; mais n’est-il pas à craindre qu’un jour les initiés restent seuls en face de leurs mystères ?

Et n’avons-nous pas été témoins déjà, depuis que toute chose marche plus vite en ce monde, de défections, de symptômes alarmants faisant pressentir cet isolement ? Sans parler de ceux qui ont élevé école contre école, n’avons-nous pas vu bon nombre de travaux, autrefois confiés aux architectes, passer en d’autres mains ? L’École, en restant exclusivement rivée à ces méthodes qu’elle ne se donne même plus la peine d’expliquer, n’a-t-elle pas senti à côté d’elle s’élever ces spécialités qui tendent chaque jour à envahir un morceau du domaine de l’architecture ?

[…]

Revenons à la composition. La première condition pour composer, c’est de savoir ce qu’on veut faire ; savoir ce qu’on veut faire, c’est avoir une idée ; pour exprimer l’idée, il faut des principes et une forme, c’est-à-dire des règles et un langage. Les lois de l’architecture peuvent être comprises par tout le monde, c’est affaire de bon sens.

Quant aux formes, aux moyens d’exprimer sa pensée soumise à la règle, il faut, pour les connaître, de longues études théoriques et pratiques, et avoir reçu une étincelle du feu sacré. Donc, pour composer, il faut se conformer aux lois immuables de l’architecture qui sont affaire de bon sens, puis trouver dans son esprit et sous les doigts une forme qui vous permette de rendre ce que votre esprit a conçu, ce que votre raison vous prescrit.


Publié: Juin 2024
Catégorie: Littérature