André Leroi-Gourhan
Le Geste et la Parole I
1964
L’art paléolithique, par son immense étendue et l’abondance de ses matériaux, fournit un témoignage irremplaçable pour la compréhension de ce que sont en réalité la figuration artistique et l’écriture : ce qui apparaît, à partir de la naissance de l’économie agricole, comme deux voies divergentes, n’en constitue en réalité qu’une seule. Il est très curieux de constater que l’expression symbolique atteint d’emblée dès l’Aurignacien son plus haut niveau. On voit en quelque sorte l’art se détacher d’une véritable écriture et suivre une trajectoire qui, d’un départ dans l’abstrait, dégage progressivement les conventions de formes et de mouvement, pour atteindre à la fin de la courbe le réalisme et sombrer. Cette route a tant de fois été suivie par les arts historiques qu’il faut bien admettre qu’elle corresponde à une tendance générale, à un cycle de maturation, et que l’abstrait soit réellement à la source de l’expression graphique. Au chapitre 14, le problème du retour des arts vers un abstrait repensé sera évoqué. On verra que la recherche d’une rythmicité pure, d’un non-figuratif dans l’art et la poésie modernes, née de la méditation des œuvres de l’art des peuples primitifs vivants, correspond à une évasion régressive, à une plongée vers le refuge des réactions primordiales, autant qu’à un départ.