André Suarès
Le Livre de l’Émeraude
1902
Le Barbare est partout à nos portes, — je veux dire l’automate saxon, machiné dans les usines de la morale et de l’esprit à bon marché. Le monde nouveau se reconnaît déjà dans les États-Unis, dont le nom odieux semble peindre un univers partout nivelé sous une médiocrité impitoyable.
La Bretagne va mourir, après Venise et Florence, après Paris. Demain, elle sera riche. Peut-être, — illustre à la manière des gueux d’âme, — après avoir été tout le contraire, riche d’âme et gueuse d’écus. Bientôt, elle aura donc cessé d’être bretonne.
Peuplée, marchande, pleine de bruit et de commis à l’effigie effacée, elle sera peut-être prépondérante en France. Mais elle ne mirera plus dans l’Océan des traits si rares, et sa figure de sirène mélancolique. Voici déjà qu’elle montre le charme inégalé de sa mort prochaine.
Et j’aime en elle, la Belle Émeraude, tout ce qui jette un dernier feu, qui va bientôt cesser d’être, et qui est plus beau sans doute, comme le soleil à l’Occident, de toucher au moment de n’être plus.