Littérature

Max Weber

Le Savant et le Politique

1919

Celui qui, en général, veut faire de la politique et surtout celui qui veut en faire sa vocation doit prendre conscience de ces paradoxes éthiques et de la responsabilité à l’égard de ce qu’il peut lui-même devenir sous leur pression. Je le répète, il se compromet avec des puissances diaboliques qui sont aux aguets dans toute violence. Les grands virtuoses de l’amour et de la bonté a-cosmiques de l’homme, qu’ils nous viennent de Nazareth, d’Assise ou des châteaux royaux des Indes, n’ont pas travaillé avec le moyen politique de la violence. Leur royaume n’était pas « de ce monde » et pourtant ils ont eu et ils continuent à y exercer une influence. Les figures de Platon Karatajev et des saints de Dostoïevski sont certainement les reconstitutions les plus fidèles de ce genre de virtuoses. Celui qui veut le salut de son âme ou sauver celle des autres doit donc éviter les chemins de la politique qui, par vocation, cherche à accomplir d’autres tâches très différentes, dont on ne peut venir à bout que par la violence. Le génie ou le démon de la politique vit dans un état de tension extrême avec le Dieu de l’amour et aussi avec le Dieu des chrétiens tel qu’il se manifeste dans les institutions de l’Église. Cette tension peut en tout temps éclater en un conflit insoluble. […] Dans un beau passage de ses Histoires florentines, si mes souvenirs sont exacts, Machiavel fait allusion à cette situation et met dans la bouche d’un héros de cette ville les paroles suivantes, pour rendre hommage à ses concitoyens : « Ils ont préféré la grandeur de leur cité au salut de leur âme. »


Publié: Mai 2018
Catégorie: Littérature