André Corboz
Le Territoire comme palimpseste
1983
Représenter le territoire, c’est déjà le saisir. Or cette représentation n’est pas un calque, mais toujours une construction. On dresse la carte pour connaître d’abord, pour agir ensuite. Elle partage avec le territoire d’être processus, produit, projet : et comme elle est aussi forme et sens, on risque même de la prendre pour un sujet. Instituée en modèle, possédant la fascination d’un microcosme, simplification maniable à l’extrême, elle tend à se substituer au réel. La carte est plus pure que le territoire, car elle obéit au prince. Elle s’offre à tout dessein, qu’elle concrétise par anticipation et dont elle paraît démontrer le bien-fondé. Cette sorte de trompe-l’œil ne visualise pas seulement le territoire effectif auquel elle se réfère, elle peut donner corps à ce qui n’est pas. Elle manifestera donc le territoire inexistant avec le même sérieux que l’autre, ce qui montre bien qu’il faut s’en méfier. Elle est toujours en danger de dissimuler ce qu’elle prétend exhiber : combien de régimes soucieux d’efficacité qui croient diriger le pays et qui pourtant ne gouvernent que la carte ?