Alessandro Baricco
Les Barbares
2014
L’idée que comprendre et savoir signifient pénétrer en profondeur ce que nous étudions, jusqu’à en atteindre l’essence, est une belle idée qui est en train de mourir. Ce qui la remplace, c’est la conviction instinctive que l’essence des choses n’est pas un point mais une trajectoire, qu’elle n’est pas cachée en profondeur mais dispersée à la surface, qu’elle ne demeure pas à l’intérieur des choses mais se déroule hors d’elles, là où elles commencent réellement, c’est-à-dire partout. Dans un tel paysage, le geste de connaître doit s’apparenter à un parcours rapide de tout le savoir humain possible, en recomposant ces trajectoires éparses que nous appelons idées, faits ou personnes. Dans le monde du réseau, on a donné un nom à ce geste : surfer (il apparaît en 1993, pas avant, et vient des types qui chevauchent les vagues sur une planche et, en général, s’envoient toutes les filles du coin). Vous la voyez, la légèreté du cerveau qui se tient en équilibre sur l’écume des vagues ? Naviguer sur Internet : jamais terme ne fut plus précis. La surface au lieu de la profondeur, les voyages au lieu des plongées, le jeu au lieu de la souffrance. Savez-vous d’où vient notre bon vieux verbe chercher ? Il porte dans son ventre le grec κίρκος, cercle : nous pensions à quelqu’un qui tourne en rond, parce qu’il a perdu quelque chose et qu’il veut le retrouver. Tête penchée, regard posé sur un carré de terre, beaucoup de patience, et ce cercle sous ses pieds qui peu à peu se creuse.