Littérature

Régis Debray

Vie et mort de l’image

1992

Les grandes religions donnaient un sens à la mort. Les sciences à présent s’en abstiennent. Comment combler le déficit ? Par la culture, répondait Malraux. Mais, face aux religions instituées, la science est hors concours. Et la culture handicapée. La question était donc mal posée. Le sens vécu ne court pas sur la même piste que la formule mathématique, ni ne peut « faire office de ». La science articule des vérités : objective, ses résultats transcendent ses conditions de naissance. Elle est mondiale par vocation. Une culture articule des valeurs : subjectivité collective, elle exprime une expérience particulière. Elle est par nature histoire et géographie. On ne peut demander aux vérités de remplir la fonction sociale des valeurs, elles ne sont pas faites pour cela. L’éthique de la connaissance n’a jamais fait une religion. Il faut, derechef, choisir : entre les contes de grand-mère, qui sont locaux ; et l’énoncé falsifiable, qui est global. Dans ce hiatus entre raison et mémoire, entre l’ordre des connaissances et celui des volontés, réside l’impossibilité du « village global », et nos présents malheurs. On peut bien faire semblant de réconcilier les deux, dans les mots, et baptiser avec Edgar Morin la culture comme « un système faisant communiquer — dialectisant — une expérience existentielle et un savoir constitué ». Mais dans les faits, c’est justement cette dialectique qui manque et on ne ponte pas avec un « wishfull-thinking », un savoir formel comme les mathématiques, qui n’a pas de langue, et la sagesse pratique d’un groupe vivant, qui en a une.


Publié: Août 2018
Catégorie: Littérature

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