Alexandre Soljenitsyne
Vivre sans mentir
1974
Le mensonge.
Quand la violence fait irruption dans la vie paisible des hommes, son visage flamboie d’arrogance, elle porte effrontément inscrit sur son drapeau, elle crie : « Je suis la violence ! Place, écartez-vous ou je vous écrase ! » Mais la violence vieillit vite. Encore quelques années et elle perd son assurance, et pour se maintenir, pour faire bonne figure, elle recherche obligatoirement l’alliance du mensonge. Car la violence ne peut s’abriter derrière rien d’autre que le mensonge, et le mensonge ne peut se maintenir que par la violence. Et ce n’est ni chaque jour ni sur chaque épaule que la violence pose sa lourde patte : elle n’exige de nous que notre obéissance au mensonge, que notre participation quotidienne au mensonge, et c’est tout ce qu’elle attend de ses loyaux sujets.
Et c’est là justement que se trouve, négligée par nous, mais si simple si accessible, la clef de notre libération : le refus de participer personnellement au mensonge ! Qu’importe si le mensonge recouvre tout, s’il devient maître de tout, mais soyons intraitables au moins sur ce point : qu’il ne le devienne pas par moi !
[…] Voilà donc notre voie, la plus facile, la plus accessible, étant donné notre couardise organique et enracinée, c’est une voie bien plus facile (chose terrible à dire) que la désobéissance civique à la Gandhi.
Notre voie : ne soutenir en rien consciemment le mensonge ! Conscient de la frontière au delà de laquelle commence le mensonge (chacun la voit de façon différente), reculer en deçà de cette frontière gangrenée. Ne rien renforcer au moyen des baleines de corset ou des écailles de l’Idéologie, ne pas coudre de ces loques pourries, et nous serons frappés de voir avec quelle rapidité, quelle absence de résistance le mensonge tombera à terre de lui-même, et ce qui doit être nu apparaîtra au monde dans sa nudité.