orthos logos
Liberté, Égalité, Fraternité
2023
Allégorie et effets du Bon et du Mauvais Gouvernement
Pour s’imposer à l’œil, comme n’importe quel fait de culture, le paysage suppose maintes médiations. […] Le paysage désigne « tout ce qu’embrasse le regard ». Reste à désigner les principes de vision qui ne se voient pas à l’œil nu. Tant il est vrai que nous voyons tout sauf ce qui nous permet de voir.
Toute transfiguration esthétique signe peut-être une identité perdue. Comme le deuil éclatant du simple bonheur d’être. Ce n’est pas un hasard si la notion de paysage urbain, ce cadeau non plus de la peinture mais de la photographie humaniste (avec Doisneau, Kertesz, ou Brassaï), a pris son vol, à partir de nos années cinquante, avec la destruction des centres-ville et l’extension des périphéries anonymes. Le sauvetage par l’encadrement de tout ce qui disparaît donne à nos exercices d’art un brin de mélancolie. La planète se rêverait-elle jardin, se fantasmerait-elle en œuvre d’art, en hortus conclusus, si elle ne se savait déjà menacée dans sa survie ?
Selon Gustave Thibon :
Liberté — Rien n’est plus clair, plus sûr, plus immédiat que son existence, rien n’est plus obscur que ses limites. […] Deux choses à ne jamais séparer : la liberté et l’exigence. L’exigence sans la liberté mutile, et la liberté sans l’exigence corrompt… (De la sagesse, 1932–1950)
Egalité — On a voulu tout simplifier, tout égaliser, on a rêvé de réduire le corps social à une figure de géométrie plane. Résultat : à la complexité organique de la nature, à la complexité vivante, féconde, fille et servante de l’unité, on a substitué une complexité mécanique, artificielle et parasite. (L’équilibre et l’harmonie, 1993)
Fraternité — Dans ces milieux, où les différences sociales étaient acceptées et vécues comme d’indiscutables nécessités, la familiarité pouvait grandir, d’une classe à l’autre, sans danger de promiscuité : une fraternité profonde naissait de l’acceptation de l’inégalité. […] La fraternité n’a pas ici-bas de pire ennemi que l’égalité. (Sur l’égalité, 1940)
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Non que la volonté d’art et de paysage ait capitulé. Au contraire, elle est plus forte que jamais, à la mesure des nostalgies. Et c’est bien là que le bât blesse : il faut une sourcilleuse volonté, désormais, pour en ranimer les contours, en restaurer les prestiges, parce qu’ils ont quitté l’un et l’autre la prose du quotidien et l’instinctif des prunelles. Ils sont devenus affaires de programmation, célébration, direction, inspection, réglementation. De « paysagistes » et d’animateurs. Aménagement du territoire, Direction des parcs naturels, Délégation aux arts plastiques, protection des sites, ministères de l’Environnement et de la Culture. Le paysage comme l’art étaient vécus, ils sont construits. Comme s’ils s’administraient une survie appliquée et soucieuse. Fin de la jouissance, regain de solutions techniques. Assigné aux réserves réglementaires et aux espaces verts, écarté de nos centres de vie quotidienne, photographié, théorisé et quadrillé, le paysage post-moderne fait un écho narquois à la « culture du patrimoine ». Les productions de l’ère visuelle étant jugées impropres à peupler nos maisons et nos jardins, l’art aussi est assigné aux musées, objet d’attentions proprement écologiques et d’une sollicitude toujours plus inquiète des pouvoirs. Tout se passe comme si force nous était de combler les déficits de naturel, in situ, avec une surnature, et in visu, avec un hyper, un techno-art. (Régis Debray, Vie et mort de l’image, 1992)
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Au contraire, les arts se développent activement lorsqu’ils sont, pour ainsi dire, rivés aux moeurs d’un peuple, qu’ils en sont le langage sincère ; ils déclinent lorsqu’ils s’écartent des moeurs pour former comme un Etat à part, qu’ils deviennent une sorte de culture particulière ; alors peu à peu on les voit se renfermer dans les écoles, s’isoler ; ils adoptent bientôt un langage qui n’est plus celui de la foule. Alors l’art est un étranger que l’on accueille parfois sans le mêler à la vie ordinaire. On finit par s’en passer car il embarrasse au lieu d’aider ; il prétend gouverner et n’a plus de sujets. L’art ne peut vivre que libre dans son expression, mais soumis dans son principe ; il meurt lorsqu’au contraire son principe est méconnu et que son expression devient esclave. […] Peut-être n’a-t-on pas pensé qu’il fallût faire de l’art. Il faudrait donc souhaiter qu’on n’en voulût plus faire aujourd’hui ; ce serait peut-être le plus court chemin pour arriver à nous donner des oeuvres d’art, expressions de notre civilisation. (Eugène Viollet-le-Duc, Entretiens sur l’architecture, 1863)
Lieu: Lyon, France
Introduction: Régis Debray, Croire, voir, faire, 1999
Definition: Trésor de la langue française (Centre national de ressources textuelles et lexicales)
Orthophoto: Institut national de l’information géographique et forestière (IGN)
Publié: Novembre 2023
Catégorie: Observation