orthos logos
Vers un territoire inclusif
2016
Ville et campagne : une rupture irrémédiable ?
La plupart des courants socialistes du dix-neuvième siècle se sont refusés à considérer comme une évolution positive la séparation entre ville et campagne que le mouvement d’industrialisation tendait à accentuer et à rendre irréversible. Ils insistaient sur le danger d’une rupture entre citadins et ruraux. Toutefois, les problématiques des premiers théoriciens socialistes sont loin d’être uniformes : à un réel passéisme de certains répond l’acceptation d’un présent industriel encore limité et semi-artisanal, mais mêlée à la peur d’une industrialisation plus massive. Le déséquilibre entre espace citadin et environnement champêtre a été trop brutal — ou ressenti comme tel — dans la phase de percée industrielle pour que les penseurs du progrès social, même les plus favorables à une certaine urbanisation, acceptent de sacrifier le peuple de la terre au profit des classes chargées de faire fonctionner les machines logées au coeur des villes.
Proudhon veut « marier l’agriculture à l’industrie (…) ; la cause des paysans est la même que celle des travailleurs des villes, la marianne des champs est la contrepartie de la sociale des cités (…). C’est à la démocratie industrielle des grandes villes (…) à chercher les points de raccordement qui existent entre elle et la démocratie des campagnes ». Conscient de l’opposition d’intérêts entre la paysannerie et les classes urbaines, Marx est plus favorable à la victoire sur la ruralité des forces libératrices qu’il voit à l’oeuvre dans les villes ; il n’en est pas moins persuadé de la nécessité de combler le fossé qui ne cesse de s’élargir entre le monde industriel, riche de promesses futures, et la vie rurale, qui reste à la traîne. Il faut cependant toujours distinguer chez Marx la vision globale, indiscutablement industrialiste, des analyses sur la conjoncture historique, où s’expriment, à certaines occasions, de véritables plaidoyers pour la paysannerie déshéritée, ou même l’espoir, à propos de la commune paysanne en Russie (le MIR), que le monde rural devienne, dans ce pays, la force sociale décisive pour un combat conduisant à une société post-capitaliste.
Plus que jamais, il semble impossible de stabiliser ou de maîtriser les convulsions sociales d’un monde qui serait de plus en plus soumis à des effets de polarisation, symbolisée mais aussi inscrite spatialement dans la dichotomie ville/campagne. Le monde rural, dédaigné, est pour longtemps encore une réalité trop massive pour ne pas peser, par la pression de ses plus élémentaires besoins, sur le sort des villes qui apparaissent, à l’échelle planétaire, comme de simples îlots menacés d’encerclement.
Lieu: Pyrénées-Orientales, France
Status: Ongoing (Part I)
Type: Territorial Study
Text: Roland Lew, Ville et campagne : une rupture irrémédiable ?, 1982
Publié: Décembre 2016
Catégorie: Observation