Peinture

Jusepe de Ribera

Connais-toi toi-même

1630

Nous naissons et vivons dans le mensonge. Il ne nous est donné que des mensonges. Même nous-mêmes ; nous croyons nous voir nous-mêmes, et nous ne voyons que l’ombre de nous-mêmes. Connais-toi toi-même : précepte impraticable dans la caverne. Nous ne voyons que de l’ombre de fabriqué. Ce monde où nous sommes et dont nous ne voyons que des ombres (des apparences), est une chose artificielle, un jeu, un simulacre. Opposition à bien considérer. L’être qui est vraiment être, le monde intelligible, est produit par le Bien suprême, il en émane. Le monde matériel est fabriqué.

[…]

Et c’est l’effet du malheur général, commun à tous, d’être des êtres humains. Si des ombres aux formes effrayantes passent sur la paroi, les captifs enchaînés en souffrent. Mais l’essence même de leur misère qui est leur dépendance totale à l’égard des ombres qui passent et l’erreur qui leur fait croire que ces ombres sont réelles, ils n’en ont pas la moindre idée.

La conversion dès lors n’est pas une petite affaire. La disparition des chaînes n’est encore rien. On peut considérer que les chaînes sont tombées dès qu’un être humain a reçu par inspiration ou plus souvent par l’instruction d’autrui, orale ou écrite (souvent c’est un livre), l’idée que ce monde n’est pas tout, qu’il y a autre chose de meilleur et qu’il faut chercher.

[…]

L’image de Platon indique que la conversion est une opération violente et douloureuse, un arrachement, et elle comporte une quantité irréductible de violence et de douleur à laquelle il est impossible de rien retrancher.

Dans tout ce qui est réel il y a quelque chose d’irréductible. La comparaison de Platon indique des étapes dans cette opération. Le captif dont les chaînes sont tombées traverse la caverne. Il ne discerne rien ; d’ailleurs il est vraiment dans la pénombre. Il ne lui servirait à rien de s’arrêter et d’examiner ce qui l’entoure. Il faut qu’il marche, quoique ce soit au prix de mille douleurs et sans savoir où il va. La volonté ici est seule en cause ; l’intelligence ne joue aucun rôle. Il faut faire un nouvel effort à chaque pas, et si on cesse de faire effort avant d’être sorti, quand même il ne manquerait qu’un seul pas, on ne sortira jamais. Les derniers pas sont les plus durs.

Connais-toi toi-même
Platon

Dimensions: 118,9 x 92 cm
Collection: Amiens, musée de Picardie
Texte: Simone Weil, Dieu dans Platon, 1942


Publié: Juillet 2025
Catégorie: Peinture