Ivan Chichkine
Le transport sauvage
1872–1898
Le soleil avait déjà disparu derrière les têtes des grands bouleaux de l’allée, la poussière s’était affaissée sur le sol, on découvrait les lointains du paysage, plus nets et plus lumineux sous l’action de rayons obliques ; quant aux nuages, ils étaient entièrement dissipés ; je voyais de l’autre côté des arbres, auprès de la grange, se dresser les pointes de trois nouvelles meules et les paysans en descendre ; enfin, pour la dernière fois de cette journée, les télègues passaient rapidement en faisant résonner l’air de leurs bruyants concerts ; les femmes, en y mêlant leurs chants, rentraient à la maison le râteau sur l’épaule, des liens à la ceinture, et Serge Mikaïlovitch n’arrivait toujours pas, bien qu’il y eût longtemps déjà que de nouveau je l’eusse aperçu au pied de la montagne. Tout à coup il apparut au bout de l’allée, d’un côté par où je ne l’attendais aucunement, car il avait tourné le ravin. En se découvrant et me montrant un visage joyeux et vraiment rayonnant, il se dirigeait vers moi. À la vue de Macha, encore endormie, il se mordit les lèvres, cligna des yeux, et s’avança sur la pointe des pieds ; je remarquai aussitôt qu’il était en ce moment dans une de ces dispositions toutes particulières de gaieté, sans cause précise, que j’aimais tant en lui, et que nous appelions entre nous « le transport sauvage ».














Lieu: Russia
Texte: Léon Tolstoï, Katia, 1859
Publié: Mars 2018
Catégorie: Peinture
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