Peinture

Arkhip Kouïndji

Le vrai et le beau

1873–1908

Nous venons d’enterrer Arkhip Ivanovich Kouindji. Pour l’art russe la disparition de ce vieillard (il avait soixante-huit ans) présente une perte énorme. Ce n’est pas seulement un maître-paysagiste d’une personnalité puissante, mais encore une noble et généreuse figure, une sorte d’apôtre qui disparaît. Comme peintre et comme homme, Kouindji se créa en Russie un nom inoubliable. […] Kouindji était de très modeste origine. Petit berger dans sa ville natale, il manifesta de bonne heure des dispositions pour la peinture. C’est notre célèbre peintre de marines, Aivazovski, qui apprécie le talent naissant de Kouindji, le prend sous sa protection, le fait travailler, lui donne des leçons.

Le nom de Kouindji se répandit vite dans le public et devint populaire en Russie, après qu’il eut exposé : Une Campagne déserte, Clair de Lune en Ukraine, Un Champ et un Fleuve avant l’Orage, Nuit sur le Dnieper, Des Bouleaux sur une Clairière, Matin sur le Dnieper et quelques autres tableaux. Ce qui était tout à fait nouveau dans ses tableaux c’étaient les effets de lumière. L’artiste ne copiait pas, n’imitait pas, mais mettait, pour ainsi dire, toute son âme dans le paysage qu’il reproduisait. Aussi, ne se dépêchait-il pas de créer : il mettait beaucoup de temps avant de procéder au travail et il n’exposait son tableau que quand il était sûr d’avoir reproduit, à tous les points de vue, la nature telle qu’il l’avait comprise.

Juge sévère à l’égard de ses œuvres, craignant, peut-être, ne plus pouvoir créer rien de supérieur aux tableaux qu’il avait déjà exposés, Kouindji prit un jour — il y a de cela vingt-cinq ans — une résolution tout à fait inattendue : en plein épanouissement de son talent il se retira du public et cessa d’exposer.

Pourtant, il continuait à travailler. Maintenant c’était dans son atelier, fermé pour toujours aux profanes, que s’entassaient ses études et ses tableaux, seuls ses élèves aimés y accédaient de temps à autre. Et quand, il v a quelques années, il invita nos artistes célèbres à visiter l’exposition des œuvres qu’il avait créées depuis sa retraite volontaire et qu’il y a exposé pour eux dans son atelier, il n’y avait qu’un seul cri : que le talent du maître n’avait nullement faibli.

Il est assez rare de rencontrer un artiste de grand talent qui ne se contente pas seulement de chercher, de comprendre et de faire vivre dans ses œuvres la Beauté, mais qui en même temps tient énormément à ce que sa vie personnelle soit, pour ainsi dire, la personnification du vrai et du beau. L’opposition qui existe si souvent entre le sublime des œuvres d’un grand artiste et les manifestations de sa personnalité morale et de ses aspirations individuelles dans sa vie nous frappe couramment. Par rapport à Kouindji, on peut dire que les faits et les gestes de sa vie étaient toujours en harmonie complète avec la beauté de ses œuvres. Il concevait la vie comme une lutte, incessante pour le triomphe de la vérité. Il ne cachait jamais ses pensées et là où il croyait combattre les mensonges et les erreurs, il donnait toujours vaillamment de sa personne.

Le vrai et le beau
Le Dniepr, le matin, 1881
Le vrai et le beau
Après la pluie, 1879
Le vrai et le beau
Le Nord, 1879
Le vrai et le beau
Coucher de soleil rouge, 1905–1908
Le vrai et le beau
Sur l'île de Valaam, 1873
Le vrai et le beau
Le Lac Ladoga, 1873
Le vrai et le beau
Nuit ukrainienne, 1876
Le vrai et le beau
Village oublié, 1874
Le vrai et le beau
L'Elbrouz, Clair de lune, 1890–1895
Le vrai et le beau
Clair de lune sur le Dniepr, 1880
Le vrai et le beau
Forêt, 1887
50°00'00.0"N 30°00'00.0"E

Lieu: Europe de l’Est
Mouvement: Réalisme

Collection: Tretyakov Gallery - The Metropolitan Museum of Art
Texte: Robert Gourvitsch, Arkhip Kouïndji, 1910


Publié: Juillet 2024
Catégorie: Peinture

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