Peinture

Jacques-Louis David

Les mythes

1783–1819

Dans cette Europe humide et noire, comment alors ne pas recevoir avec un tremblement de regret et de difficile complicité, ce cri du vieux Chateaubriand à Ampère partant en Grèce : « Vous n’aurez retrouvé ni une feuille des oliviers ni un grain des raisins que j’ai vus dans l’Attique. Je regrette jusqu’à l’herbe de mon temps. Je n’ai pas eu la force de faire vivre une bruyère. » Et nous aussi, enfoncés, malgré notre jeune sang, dans la terrible vieillesse de ce dernier siècle, nous regrettons parfois l’herbe de tous les temps, la feuille de l’olivier que nous n’irons plus voir pour elle-même, et les raisins de la liberté. L’homme est partout, partout ses cris, sa douleur et ses menaces. Entre tant de créatures assemblées, il n’y a plus de place pour les grillons. L’histoire est une terre stérile où la bruyère ne pousse pas.

[…]

Les mythes n’ont pas de vie par eux-mêmes. Ils attendent que nous les incarnions. Qu’un seul homme au monde réponde à leur appel, et ils nous offrent leur sève intacte. Nous avons à préserver celui-ci et faire que son sommeil ne soit point mortel pour que la résurrection devienne possible. Je doute parfois qu’il soit permis de sauver I’homme d’aujourd’hui. Mais il est encore possible de sauver les enfants de cet homme dans leur corps et dans leur esprit. Il est possible de leur offrir en même temps les chances du bonheur et celles de Ia beauté. Si nous devons nous résigner à vivre sans la beauté et la liberté qu’elle signifie, le mythe de Prométhée est un de ceux qui nous rappelleront que toute mutilation de l’homme ne peut être que provisoire et qu’on ne sert rien de l’homme si on ne le sert pas tout entier. S’il a faim de pain et de bruyère, et s’il est vrai que le pain est le plus nécessaire, apprenons à préserver le souvenir de la bruyère.

[…]

Alors que Platon contenait tout, le non-sens, la raison et le mythe, nos philosophes ne contiennent rien que le non-sens ou la raison, parce qu’ils ont fermé les yeux sur le reste. La taupe médite.

Les mythes
La mort de Socrate, 1787
Les mythes
La Douleur d'Andromaque, 1783
Les mythes
La Colère d'Achille, 1819
Les mythes
Les Adieux de Télémaque et d'Eucharis, 1818
39°00'00.0"N 22°00'00.0"E

Lieu: Greece

Collection: Metropolitan Museum of Art - Musée du Louvre - Kimbell Art Museum - The J. Paul Getty Museum
Texte: Albert Camus, L’Été, 1954


Publié: Janvier 2025
Catégorie: Peinture