Winslow Homer
Les valeurs classiques
1864–1895
Il y a certains artistes qui sont intéressants en dehors de leurs œuvres, parce qu’ils servent — généralement à leur insu — de porte-étendards d’idées générales. Tel est Winslow Homer. Bien entendu, il ne s’agit pas ici de ce qu’on pourrait appeler « l’importance historique ». Elle est beaucoup moins intéressante qu’on ne le croyait naguères ; en tout cas, elle ne vient même pas à l’esprit lorsqu’on évoque la figure du plus grand artiste américain, car c’est comme tel que plupart des critiques considèrent maintenant Winslow Homer. Si le grand nombre des partisans de Whistler, joint aux admirateurs d’Albert P. Ryder — moins nombreux, mais importants par leur jugement — nous empêchaient de décerner cet honneur à Winslow Homer d’une façon absolue, il resterait incontestable qu’il est le peintre américain qui a exprimé le mieux les aspirations artistiques de ses compatriotes à ce moment de leur évolution. Même le critique qui trouve le plus à reprendre dans l’œuvre de Homer ne dirait pas que l’admiration générale dont elle a joui provient de concessions faites au goût populaire.
Elle commença par des tableaux de genre intéressant un public qui n’aurait su apprécier des œuvres d’anecdotisme moins attrayant. Peu à peu, l’artiste et ses meilleurs admirateurs progressant ensemble, Homer retenait toute leur estime en même temps qu’il satisfaisait sa conscience artistique. Et elle devenait toujours plus intransigeante sur les questions de l’idée à exprimer, du style rigoureusement pur que cette idée exigeait. Souvent un Américain d’aujourd’hui croit trouver trop de sévérité, trop peu de charme dans cette œuvre ; il n’a qu’à suivre ce demi-siècle de peinture dans son développement pour reconnaître qu’il se trouve en présence d’un art qui, tout en s’attachant d’un lien de plus en plus serré aux choses vastes et essentielles, ne veut exclure ni de chez lui, ni de chez les autres, les qualités aimables. La rectitude avec laquelle Homer resta fidèle à l’inspiration de sa nature artistique présente une inconscience identique à celle qu’on remarque chez Ingres et Corot, s’acheminant vers des buts si différents. Si on ne savait pas quelles difficultés ils rencontrèrent sur leur route, on serait tenté de répéter la vieille sottise : « Ils étaient nés comme cela, c’était pour eux très naturel ». Mais si nous admettons que l’intransigeance a quelque chose de ces habitudes qui deviennent si étroitement une partie de nous-mêmes que nous les suivons sans y penser, on ne peut en dire autant de la maîtrise. Pour le vrai maître, les problèmes se font toujours plus compliqués et c’est seulement au prix d’une lutte constante qu’il continue à avancer.
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Ceux qui le connaissent le mieux ont la conviction intime que la métamorphose d’un homme qui va de la nature à l’art s’est produite encore une fois dans le cas de Winslow Homer. Ils maintiennent avec confiance que sa couleur et plus encore sa forme et sa composition vont au delà de l’expression du sujet pour atteindre les valeurs classiques. Le rocher, la mer, le ciel dans une grande peinture de Homer ne sont pas autant de transpositions d’objets naturels ; la conception de leur forme est en harmonie avec celle des maîtres ; avec l’idéal architectonique des créateurs s’apparente aussi leur ordonnance. La séparation consciente des qualités de représentation et des qualités esthétiques est éminemment une conquête du XIXᵉ siècle, et son influence a déjà été des plus salutaires ; elle doit certainement le rester dans l’avenir.
Lieu: USA
Mouvement: Réalisme
Collection: Museum of Fine Arts, Boston - Thyssen-Bornemisza National Museum - Harvard Art Museums/Fogg Museum - The Metropolitan Museum of Art
Texte: Walter Pach, Winslow Homer et la signification de son œuvre, 1912
Publié: Mai 2023
Catégorie: Peinture
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