Diego Vélasquez
Peindre l’air
1619–1660
Pour que les forces vitalement hétérogènes et antiacadémiques de l’art moderne ne périssent pas dans le ridicule anecdotique du simple dilettantisme expérimental et narcissique, il faut trois choses essentielles :
1. Du talent et de préférence du génie*.
2. Réapprendre à peindre aussi bien que Velasquez et de préférence comme Vermeer**.
3. Posséder une cosmogonie monarchique et catholique aussi absolue que possible et à tendances impérialistes.
C’est seulement alors que, nietzschéens à l’envers, c’est-à-dire aspirant vers le sublime, nous observerons à l’œil nu « d’après nature », l’archange antiprotonique si divinement éclaté que nous pourrons enfin plonger nos mains de peintre entre les chromosomes fissionnés de sa substance rossignolesque pour toucher de nos doigts douloureux et gonflés de sang le trésor discontinu et désiré depuis notre propre jeunesse. Et, croyant comme Soeringe que nous commandons tout par notre volonté de puissance en puissance, je sais que nous toucherons alors notre propre divinité de peintres.
* Depuis la Révolution française, se développe une vicieuse tendance crétinisante qui consiste à considérer que les génies (à part leur œuvre) sont en tout des êtres plus ou moins semblables au reste du commun des mortels. Cette croyance est fausse. Je l’affirme pour moi qui suis le génie moderne par excellence.
** Dans son Manifeste mystique paru en 1952, Dalí disait déjà aux peintres : « Peintres, peignez méticuleusement, avec autant de réalité qu’une photo en couleurs, que votre main se conduise comme un stroboscope, et alors je vous promets qu’à partir de ce moment vos tableaux risqueront de devenir immortels ! »
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S’il fallait caractériser en un mot le talent de Velazquez, je l’appellerais comme Jean-Jacques, l’homme de la nature et de la vérité. Dans les sujets qui ne demandent que les qualités en quelque sorte d’exécution, qui n’exigent ni élévation de style, ni grandeur de pensée, ni sublimité d’expression, pour lesquels enfin le vrai est le beau, Velazquez me paraît sans rival. Quoiqu’il peignît du premier jet, sans hésitation, sans retouche, quoiqu’il se jouât des difficultés de la forme comme de celles de la lumière, son dessin est toujours d’une irréprochable pureté. Sa couleur est ferme, sûre et précisément naturelle ; rien de brillant, rien d’affecté ; aucune recherche d’effet ou d’éclat ; mais aussi, rien de terne, rien de pâle, aucune habitude d’un ton dominant et défectueux. Il colore comme il dessine ; tout en lui est également vrai. Quant à l’entente des plans divers, à la distribution de la lumière, à la diffusion de l’air ambiant, en d’autres termes, quant à la perspective linéaire et aérienne, c’est là surtout qu’excelle Velazquez : c’est là qu’il a trouvé le secret de la plus parfaite illusion. « Il a su peindre l’air, » dit Moratin. Certes, si l’art de peindre n’était que l’art d’imiter la nature, Velazquez serait le premier peintre du monde. Peut-être est-il du moins le premier maître.
Lieu: Madrid, Spain
Mouvement: Baroque
Collection: Museo Nacional del Prado - The Metropolitan Museum of Art - The National Gallery
Text: (1) Salvador Dalí, Les cocus du vieil art moderne, 1956 (2) Louis Viardot, Les Musées d’Europe, 1860
Publié: Décembre 2023
Catégorie: Peinture
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