Giovanni Segantini
Peintre de la montagne
1883–1899
Fils d’un charpentier, Giovanni Segantini naquit, officiellement, en Autriche, mais, réellement et physiquement, en Italie, dans la petite ville d’Arco, près du lac de Garde. Il vit d’abord le vieux château, les dolomites pourprées et roses, l’air étincelant où l’on sent la splendeur voisine du grand lac. Puis il vint à Milan, dans le triste Milan plébéien, le Milan de l’hiver et de la pauvreté ; ce fut un enfant solitaire. C’est la meilleure éducation pour les forts, cette solitude dans l’âge où l’on est encore à peu près inconscient. Enfant, je pense qu’il le demeura toujours, comme les vrais artistes ; ils étouffent en eux les apparences enfantines, parce qu’il faut lutter et vivre ; mais il faut que l’enfance, avec ses impressions et ses instincts, survive tout au fond. […]
Puis il monta dans l’Engadine, à Savagnino d’abord, ensuite à l’extrême hauteur, sur le terrible col de la Maloja, balayé par le vent des neiges. La montagne, unique entre toutes, avec sa lumière sublimée et comme quintessenciée, lui fit subir un sortilège. Il poursuivit la lumière en plein air, dans ce froid polaire. Ce fut la Suisse inconnue, celle d’hiver et de printemps, vierge de touristes ; les malades seuls la connaissent, mais ils ne la regardent pas. Ils ne regardent plus qu’eux-mêmes.
Il travaillait, seul dans cet art presque surhumain. Son esprit dérivait souvent vers des symboles, des allégories, des « maternités » qui sont des erreurs. Heureusement, s’il admirait Zola, il ne lisait pas Ruskin. Mais il faudrait effacer, de tels paysages magnifiques, les figures qui visent Dante et qui n’atteignent que Bœcklin. Les charades à l’allemande l’ont trop séduit. Il n’est pas le seul. Il repeignait ses anciens tableaux, s’affolait à chercher la lumière. Il se roulait, au renouveau, sur les fleurs divines de la haute montagne, baisait les prés qui refleurissent. Il devint le vrai génie de cette montagne, et, fruste, concassée, abrupte comme les rochers du Roseg, sa peinture fut une chose inouïe, presque toute vraie, sans convention visible, blessante et attirante comme une saveur inconnue.
Lieu: Alps
Mouvement: Symbolisme
Collection: National Museum of Western Art - Segantini Museum, St. Moritz - Kunstmuseum Basel
Text: Pierre Gauthiez, 1902
Publié: Octobre 2022
Catégorie: Peinture
Source