Frères Bisson
Architecture photographique
1856–1864
C’est avec une émotion réelle, et nous avons presque dit avec respect, que nous arrivons aux noms de MM. Bisson frères. Nous savons la distance qui sépare l’exécutant du compositeur, et sommes de ceux-là qui voient le plus beau titre de gloire d’un Litz ou d’un Paganini dans la parfaite interprétation des chefs-d’œuvre de Mozart et de Beethoven ; on n’a donc pas besoin de nous dire que notre enthousiasme doit réserver des tons exceptionnels et vierges en l’honneur des dieux créateurs de l’art que nous cultivons.
Cependant certaines applications, par leur magnificence, participent aux honneurs de l’invention ; or, à notre avis, MM. Bisson utilisent les découvertes des Niepce et des Daguerre comme La Fontaine utilisa les fables d’Ésope. Acclamer en eux une des plus brillantes illustrations de la photographie pratique, ce serait ouvrir la bouche bien grande pour en laisser tomber un lieu commun.
Architectes et peintres, ils ont voué leur existence aux arts. Mais à la façon dont ils traitent le nôtre, on les devrait croire prédestinés à l’honorer. Jeunes encore, ce sont déjà dans l’arme de vieux grognards. Ils en ont tous les chevrons. En eux l’habileté photographique semble s’être incarnée et, ce qui vaut mieux encore, greffée sur une organisation d’artiste. Il y a près de quinze ans que nous restions bouche béante devant des plaques où resplendissaient toutes les beautés des Rembrandt et des Vandyck ; c’étaient des portraits de MM. Bisson, peints par eux-mêmes, et que M. Chevallier refusait de nous vendre à quelque prix que ce fût.
Faire plus et mieux qu’alors en ce genre leur serait impossible ; mais depuis ils se sont approprié d’une façon supérieure toutes les conquêtes successives ; ils y ont mis leur griffe et n’ont laissé devant eux personne dans les diverses routes qu’ils ont voulu parcourir. L’œuvre de Rembrandt, celle d’Albert Durer, popularisées par leurs soins, en font foi. Ont-ils essayé du paysage ? Nous l’ignorons ; mais à coup sûr, vers quelque région de nos États qu’il leur plaise jamais de se diriger, il faudra plaindre ceux qui jusqu’alors y tenaient le premier rang et voulaient le garder sans partage.
Depuis quelques années, MM. Bisson ont consacré leur talent à la reproduction des monuments ; on peut dire qu’ils sont les Michel-Anges de l’architecture photographique. La beauté, la perfection, l’éclat de leurs ouvrages semblent défier toute rivalité. Faisant abstraction de la dimension des épreuves, ce qui nous transporte et nous ravit, c’est, à côté d’une indescriptible finesse et d’une pureté générale inouïe, la grande et libre allure, l’harmonie, la connexité des effets les plus contraires, la lumière effrontée rehaussant, au lieu de les amortir, les mystérieuses pudeurs du clair-obscur ; c’est, en un mot, la réunion de toutes les qualités de l’art le plus fier et le plus charmant à la fois !
Collection: BnF - Art Institute of Chicago - The J. Paul Getty Museum - Rijksmuseum
Texte: Paul Périer, Compte rendu de l’exposition universelle de 1855, 1855
Publié: Mai 2024
Catégorie: Photographie
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