Charles Nègre
Le Midi de la France
1850–1860
L’été 1852, Nègre gagne le Midi, et pendant une année, à ses propres frais et, de sa propre initiative, y photographie les plus beaux sites naturels, les monuments les plus frappants, mais aussi la vie des ports, des villages, des champs. Et dans ces trois domaines, paysage, scène animée, vue d’architecture, il donne à la photographie française du milieu du XIXᵉ siècle ses réalisations les plus poétiques. […] C’était là continuer cette tradition, inaugurée à la fin du XVIIIᵉ siècle et à laquelle l’exemple d’écrivains comme Châteaubriand, Hugo, Mérimée avait donné un élan et une popularité considérable. L’entreprise de Nègre était d’une extraordinaire ambition. Il y avait aussi dans la volonté de ce méridional de dépeindre le visage de son pays sous tous ses aspects, sans oublier l’élément humain, un « acte d’amour », comme le dit justement Borcoman.
Mais enfin, quelque passionnée que fut l’entreprise, la campagne du Midi manifestait aussi chez Nègre, pour la première fois le désir de publier ses photographies et d’en vivre. Même s’il signe les premières livraisons et le projet du nom de « Charles Nègre peintre », c’est l’époque où il s’engage de plus en plus dans l’exercice de la photographie. Nègre, jusque là, avait vécu de la pension allouée par son père et de petits travaux. Le projet de publication du Midi de la France va être un demi échec, mais désormais à en juger par les mentions sur son carnet de comptes, dès 1853, c’est-à-dire dès son retour du Midi, Nègre enverra régulièrement un choix de ses épreuves aux éditeurs afin qu’ils les revendent. Nègre n’a pu, en effet, comme Gustave Le Gray ou les Bisson, bénéficier du support d’un mécène, ce qui leur avait permis d’ouvrir, chacun, un véritable atelier Boulevard des Capucines. Aussi tirait-il lui-même ses épreuves et les livrait-il, non montées.
[…]
La tentative de publication du Midi de la France fut un échec car elle venait à un moment où les éditeurs, Blanquart-Emard notamment allaient abandonner les publications d’albums illustrés d’épreuves photographiques à cause du coût excessif et de l’instabilité de ces dernières. Et Nègre, avec l’intuition qui le caractérise, commença l’année suivante ses recherches dans le domaine de l’héliogravure qui, seule, pouvait assurer la permanence des épreuves photographiques et en même temps leur multiplication rapide à une très grande échelle. Il fut un des rares artistes, avec Baldus, à mettre au point son propre procédé d’héliogravure qu’il fit breveter en 1856.
Collection: The Metropolitan Museum of Art - Gift of W. Bruce and Delaney H. Lundberg, 1998
Texte: Françoise Heilbrun, Charles Nègre, photographe, 1980
Publié: Juin 2024
Catégorie: Photographie