Luigi Ghirri
Une empreinte
1985–1989
Retournons au fait technique, élémentaire et bête. Qu’est-ce qu’une photo ? Une empreinte. Sur une surface enduite de sels d’argent, s’impriment à travers une lentille des rayons lumineux reflétés par un objet. Chacun le sait bien : On « fait » un tableau, on « prend » une photo. […] La photo est en continuité avec la chose, et cette connexion photonique à l’objet est plus qu’une imitation, c’est une émanation. En deçà du rapport de similitude, il y a dépôt et contact, contiguïté indiscernable du fantôme et de la chose même. C’est le rapport fusionnel, magique, enveloppant de l’empreinte qui fait la souche et l’originalité du médium. Cette trace brute, c’est l’irréductible photographique, qui l’oppose à la confection délibérée du trait. Le réel ici a l’initiative, même s’il est relayé par une opération chimique. « C’est la lumière qui décide », pas le sujet. Je peux peindre des anges, je ne peux pas photographier des anges. Il y a là une limitation assez grave du médium, sans aucun doute ; mais la fonction d’attestation, le « ça a été », « le truc était bien là », convoque une autre sorte de surnaturel, ou de paranormal, celui des révélations. […] La photo-photo, elle, est plus pensive que pensante. Par quoi elle est moins « bonne à penser » qu’un tableau, et donc plus délaissée par les penseurs de profession. Ça ne veut rien dire, ça montre. Ou plutôt « c’est », « das ist ».














Lieu: Italy
Collection: Archivio Luigi Ghirri
Texte: Régis Debray, Croire, voir, faire, 1999
Publié: Novembre 2018
Catégorie: Photographie
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